Quel regard sur l’annexe fiscale 2021 ?
Par Monsieur Dominique Taty, Président de la Commission juridique et fiscale
L’annexe fiscale 2021 entre en vigueur dans un contexte économique difficile. Elle comprend 33 articles regroupés selon différents objectifs à savoir :
- les mesures de renforcement de la mobilisation des recettes fiscales
- les mesures de soutien à l’économie
- les mesures techniques et de rationalisation du dispositif
Dans une note de cadrage adressée au secteur privé, l’autorité fiscale avait indiqué son intention de relever le niveau de pression fiscale en 2021 en veillant à sa meilleure répartition. Par ailleurs, elle avait décidé d’orienter son soutien vers les activités de transformation de l’économie.
Il convient de rappeler que dès le mois de juin 2020, le secteur privé dans son ensemble et sous le leadership de la CGECI avait transmis une série de propositions pour l’annexe fiscale 2021. Ces propositions, nombreuses et variées, comportaient des mesures de réduction de charges fiscales, à caractère général ou concernant seulement certains groupements sectoriels, ainsi que des mesures techniques pour réaménager ou améliorer certains dispositifs.
Les échanges que nous avions eus avec l’administration fiscale laissaient présager des difficultés puisque celle-ci examinait les propositions du secteur privé au regard de la note de cadrage qui excluait d’office les mesures de réduction fiscale sollicitées par le secteur privé pour faire face à la crise sanitaire de la Covid-19. La majorité des propositions n’a donc pas été prise en compte. Les raisons avancées sont essentiellement liées à la nécessité pour le gouvernement de respecter ses engagements vis à -vis des bailleurs de fonds et partenaires multilatéraux peu enclins à accepter des mesures de réduction fiscale dans un contexte où la pression fiscale est estimée très faible (taux établi à 12,6% en 2020 par les autorités). L’administration fiscale doit, par conséquent, améliorer le recouvrement des taxes. L’annexe fiscale 2021 sera donc marquée par l’adoption de nouvelles taxes justifiées par un besoin d’élargissement de l’assiette fiscale. Nous revenons ici sur quelques-unes de ces nouvelles taxes ainsi que les dispositions favorables aux entreprises.
- Mesures favorables aux entreprises
Pertes sur créances irrécouvrables du secteur des établissements bancaires ou de crédits (Art 5)
L’annexe fiscale vient régler une situation inconfortable depuis plusieurs années résultant d’une discorde entre les règles prudentielles de l’UEMOA régissant la profession bancaire d’une part et les règles fiscales d’autre part. La Directive n° 01/2020/CM/UEMOA du 26 juin 2020 permet de passer en pertes les créances classées douteuses ou litigieuses et non recouvrées au terme du cinquième exercice comptable mais ces pertes ne sont pas déductibles fiscalement dès lors que l’irrécouvrabilité des créances n’est pas prouvée après mise en œuvre et épuisement des procédures judiciaires de recouvrement.
La spécificité des règles fiscales ne suivant pas toujours les règles comptables, cette situation a longtemps pénalisé les entreprises du secteur bancaire obligées de réintégrer fiscalement les pertes ou créances qu’elles étaient autorisées à provisionner comptablement.
Désormais, l’annexe fiscale permet la déductibilité fiscale de ces pertes sur créances dès lors qu’elles ont été constatées en application des normes prudentielles bancaires. Cette nouvelle disposition permet ainsi de réaliser une économie fiscale substantielle quand on sait le niveau important des créances provisionnées généralement au sein des établissements bancaires. Ce sujet était une demande de longue date du secteur privé à l’endroit de l’autorité fiscale.
Régime fiscal simplifié les prestataires de services pétroliers (Art 22)
Le régime des prestataires de services pétroliers a connu un réaménagement dans le sens d’un allègement des impositions de ce secteur.
Les prestataires de services pétroliers étrangers étaient jusqu’ici forfaitairement imposés à hauteur de 6% applicable sur une base de 10% de leur chiffre d’affaires tandis que les prestataires locaux étaient assujettis au régime d’imposition de droit commun.
Il a été décidé par l’administration fiscale d’harmoniser les régimes tout en tenant compte des phases d’exploration et de production du cycle de l’industrie pétrolière.
Les entreprises prestataires de services pétroliers, qu’elles soient étrangères ou locales, seront toutes désormais assujetties à un taux de 6% sur le chiffre d’affaires lorsqu’elles contractent pour des entreprises pétrolières en phase d’exploration et 2,17% lorsque celles-ci sont en phase d’exploitation. Les différents taux sus indiqués sont applicables sur une base forfaitairement fixée à 10 % du chiffre d’affaires hors taxes.
Réaménagement des dispositions en matière de contentieux fiscal (Art 19 & art 20)
Les changements opérés ici visent à décongestionner les services de l’administration en charge des recours contentieux. La sous-direction du contentieux qui instruit les dossiers de recours contentieux auprès du Directeur général des impôts est très vite saturé par les nombreux recours introduits auprès de la DGI.
L’objectif visé ici est de repartir la charge de travail entre les directions centrales et les directions régionales. Désormais, seul le DG des impôts est saisi en première instance des recours contentieux pour les litiges supérieurs ou égaux à 500 millions FCFA. Au-delà de 100 millions de FCFA, les directions centrales sont saisies (DGE, Direction des enquêtes et vérifications fiscales …etc) et en dessous de 100 millions, les directions régionales sont compétentes. Les délais de réclamation sont passés à six mois au lieu de trois ans initialement mais avec des possibilités de prorogation du délai de contrôle sur place en cas de demande de suspension par le contribuable. Ce réaménagement a été proposé par l’autorité fiscale elle-même comme un dispositif d’amélioration du traitement des dossiers de contentieux. Le droit de recours auprès du DG des impôts reste intact en cas d’échec auprès des directions centrales et régionales.
Etat des factures produites par les entreprises ou reçues de leurs imprimeurs (Art 24)
Il y avait une obligation pour les entreprises de produire cet état pour chaque trimestre civil sous peine de sanction. L’abandon de cette obligation vient alléger considérablement les entreprises qui avaient demandé sa suppression dans les propositions soumises par le secteur privé.
Produits laitiers (art 28)
Le lait est soumis à la TVA au taux réduit (9%) mais ici l’administration a voulu rechercher deux objectifs : d’abord exclure certains produits laitiers du taux réduit pour les taxer au taux normal de 18%, dans le cadre d’une politique d’élargissement de l’assiette fiscale (le yaourt par exemple) et, ensuite, permettre à des produits composites (mélanges) destinés à l’alimentation infantile de bénéficier du taux réduit de 9%.
Mesures en faveur de la longue épargne (art 31)
Cette disposition de faveur est une demande du groupement des assureurs. Elle vise à exonérer de l’impôt sur les revenus de créances les intérêts servis sur les contrats d’assurance-vie. Auparavant, une taxation dégressive de ces intérêts était prévue selon l’échéance des contrats d’assurance.
Réforme de la fiscalité applicable aux PME (Art 33)
La réforme de la fiscalité des PME est le résultat de travaux entre l’autorité fiscale et les faitières de PME. Un travail de stratification et de simplification a été effectué pour prendre en compte l’ensemble des acteurs opérant dans l’informel et payant la taxe communale, jusqu’aux PME assujetties à un régime réel d’imposition.
Cette réforme qui devrait être adoptée par voie d’ordonnance a finalement été intégrée dans l’annexe fiscale pour être applicable dès le mois de janvier 2021.
Comme toute réforme, celle-ci ne manquera pas d’entraîner des difficultés d’application. Il est à prévoir que des situations marginales remontent en surface au moment de la mise en œuvre de ces nouveaux régimes d’imposition et il est conseillé aux faitières de PME d’être attentives aux problèmes que leurs membres pourraient révéler.
- Quelques mesures controversées de l’annexe fiscale
Au cours des échanges entre la CGECI, pour le compte du secteur privé et l’autorité fiscale, il a été soutenu par le patronat que le contexte économique fortement dégradé par la crise sanitaire de Covid-19 ne milite pas en faveur de la création de nouvelles taxes. En face, les contraintes gouvernementales liées à l’équilibre et à la maîtrise du déficit budgétaire rendaient, cependant, l’exercice des discussions difficiles. Il convient de rappeler ici certaines dispositions nouvelles à cet égard :
TVA applicable à certains produits alimentaires (art 6)
Il s’agit de la TVA désormais applicable au riz de luxe et à la viande importée au taux de 9%. Si la généralisation de la TVA est un objectif à atteindre par les pays de l’UEMOA, son application aux produits de grande consommation peut entrainer une inflation des prix si elle n’est pas maitrisée. Certaines viandes importées sont des produits de grande consommation couramment destinés à des populations à revenus faibles. Les discussions avec la CGECI ont permis d’examiner avec les acteurs concernés les difficultés d’application de la loi à certains types de viandes.
Redevances pour occupation du domaine public par les stations-services (Art 11)
Ces redevances n’avaient pas été valorisées depuis de longues années selon l’autorité fiscale. Les nouveaux montants de redevances adoptés dans l’annexe fiscale 2021 ont été discutés et font l’objet d’un consensus avec les groupements de la filière selon les autorités.
Droits d’accises sur certains produits cosmétiques (art 26)
La Directive n° 03/98/CM/UEMOA du 22 décembre 1998, telle que modifiée par la Directive n° 03/2009/CM/UEMOA du 27 mars 2009, a prévu la faculté pour les Etats membres de soumettre aux droits d’accises, les produits de parfumerie et cosmétiques. L’annexe fiscale 2021 a donc institué un droit d’accise de 10% sur les produits cosmétiques. La CGECI soutenant le secteur d’activité concerné a demandé qu’il soit fait un inventaire des produits cosmétiques fabriqués localement afin de mieux apprécier les difficultés d’application de la loi à ceux-ci. En effet, l’industrie locale des cosmétiques produit des articles de consommation « grand public » et à des prix très modérés. Ce secteur d’activité est un secteur d’emploi direct et indirect des populations à faibles revenus impliquées dans le commerce de produits cosmétiques sur les marchés. L’impact du droit d’accise à hauteur de « 10% » sur le chiffre d’affaire de cette industrie serait néfaste. Par l’intermédiation de la CGECI, une discussion ouverte avec le secteur d’activité concerné a été initiée par l’autorité fiscale pour une application plus circonstanciée de cette taxe d’accise.
Impôt minimum forfaitaire (IMF)
La suspension de l’impôt minimum forfaitaire décidée, pour une année, par l’annexe fiscale 2020 n’a pas été reconduite en 2021. Toutes les entreprises soumises à un régime réel d’imposition devront par conséquent acquitter cet impôt. L’IMF a occupé un espace important dans les discussions entre la CGECI et l’autorité fiscale. Les parties ont, cependant, décidé de laisser le chapitre des discussions ouvert même si la loi est adoptée.
Remboursement des crédits de TVA
La situation alarmante des crédits non remboursés de TVA a été l’objet de plusieurs échanges avec l’autorité fiscale parce que la CGECI avait sollicité une augmentation des dotations financières de la Régie de remboursement des crédits de TVA. Il a été, par la suite, convenu que l’annexe fiscale n’était pas la clé de règlement de cette difficulté. Les initiatives de la CGECI auprès de la primature, du ministère de l’économie et des finances, du ministère du Budget et du portefeuille de l’Etat et auprès de la Direction générale du Trésor permettent déjà une prise en charge de ce dossier important.
Que conclure ? les engagements du gouvernement en matière budgétaire et vis-à-vis des partenaires multilatéraux ont rendu impossible l’acceptation des demandes d’exonérations fiscales introduites par le secteur privé pour l’annexe fiscale. Mais l’amélioration du recouvrement et l’élargissement de l’assiette fiscale sont plutôt les principaux objectifs poursuivis par l’administration en 2021. Ces contraintes expliquent, notamment, toutes les nouvelles mesures techniques venant renforcer les sanctions et les moyens de l’administration, et, également les réaménagements ou créations de quelques taxes bien précises. Afin d’atténuer les effets de certaines taxes sur les entreprises, l’autorité fiscale a consenti, à la demande de la CGECI, d’en examiner attentivement les difficultés et modalités d’application avec les acteurs des filières concernées.