Intervenant en sa qualité de keynote speaker à l’occasion du forum organisé par Fraternité pour célébrer ses 55 ans d’existence, le Directeur Exécutif de la CGECI, M. Stéphane Aka- Anghui a présenté la contribution ci-dessous à un auditoire richement coloré : hommes d’affaires, intellectuels panafricanistes et journalistes venus du Continent africain. Suivons l’exposé de M. Aka-Anghui.
Introduction
Partis du constat que l’intégration des marchés africains n’était pas assez renforcée et du fait que l’Afrique devait se servir plus efficacement de son commerce comme un moteur de développement socioéconomique rapide et durable, il a été initié en janvier 2012, lors de la 18ème session ordinaire de la Conférence de l’Union africaine(Ua), le projet de lancer la Zone de libre-échange continentale.
L’année 2017 est celle envisagée pour la création de cette Zone de libre-échange. Aussi, le processus de négociation est-il lancé en juin 2015 à Johannesburg lors de la 25ème session ordinaire de la Conférence de l’Union africaine. Lors de cette session, les objectifs, les principes, la feuille de route pour créer la ZLECAf sont fixés.
Le 21 mars 2018, lors d’un sommet à Kigali, 44 pays sont signataires de l’accord portant création de la Zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAF), et clôturant ainsi la 1ère phase du projet.
Inscrit dans le cadre de l’Agenda 2063, cet accord de libre-échange panafricain devrait aboutir à la création d’un marché de plus d’1,2 milliard de personnes pour un PIB global évalué autour de 3 000 milliards USD (55 pays membres de l’UA). Les retombées économiques attendues au profit des africains sont extrêmement importantes à commencer par :
- Les PME qui représentent 80% des entreprises de la région ;
- Les femmes qui constituent 70% des commerçants transfrontaliers informels ;
- Les jeunes qui devraient profiter des nouvelles opportunités d’emploi.
Cet ambitieux chantier n’en est qu’à ses prémices : de nombreux aspects doivent encore être débattus au sein des groupes de travail et trouver un consensus au niveau de l’Union africaine.
En outre, la ZLECAf pourrait contribuer à changer significativement la donne en Afrique (game changer), continent qui jusque-là échange très peu avec lui-même et reste relativement marginalisé dans le commerce mondial.
De façon plus spécifique, il a été estimé qu’une élimination des droits de douane sur 90% des produits couramment soumis au régime tarifaire pourrait augmenter les flux commerciaux de 16%, soit environ 16 milliards USD, pour les secteurs comme les produits miniers, manufacturiers et agricoles. A plus long terme, la libéralisation effective des échanges pourrait générer 1 à 3 points additionnels de croissance, 1,2% de hausse de l’emploi et une réduction significative des déficits commerciaux.
- Opportunité et craintes liées à la ZLECAF
- Opportunités
- Opportunités économiques
Si la capacité relative du pays à tirer profit de l’Accord est bien réelle, grâce en partie aux acquis du processus d’intégration sous-régionale et au niveau de compétitivité élevé dans certaines filières ainsi qu’au portefeuille commercial relativement diversifié (produits et partenaires), le bouleversement structurel attendu de la trajectoire de développement du pays pourrait se heurter à divers freins ayant trait à :
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- la prépondérance de l’informel,
- la méconnaissance des opérateurs économique de la ZLECAf et d’autres dispositifs de promotion du commerce,
- la relative fragilité du contexte politique et social, au niveau d’adéquation encore limité du profil de la main d’œuvre face aux exigences productives des entreprises,
- la multiplicité des institutions d’appui au commerce et leur faible niveau de cohérence et d’harmonisation,
- à des aspects défavorables du climat des affaires, notamment les délais longs et coûts relativement élevés dans les procédures du commerce transfrontalier, la complexité des procédures d’obtention du permis de construire, le temps et les coûts relativement importants pour le raccordement à l’électricité et la protection limitée des investisseurs minoritaires.
Pour ce qui est du cas spécifique de la Côte d’Ivoire, la mise en œuvre effective de l’Accord contribuera à augmenter significativement les exportations vers les sous-régions autres que la CEDEAO.
Le secteur industriel est appelé à tirer le plus de bénéfices de cette expansion du commerce qui peut aller jusqu’à 8,5%, faisant de l’Accord une opportunité d’industrialisation et de promotion d’outil de transformation structurelle de l’économie.
Ces opportunités économiques sont toutefois à opposer aux risques et coûts éventuels qui viennent avec l’ouverture des frontières et la libéralisation des marchés intérieurs.
- Opportunités de compétitivité
Dans l’optique d’optimiser les impacts attendus de l’Accord signé et ratifié par le pays, il est dès lors crucial d’envisager une mise en œuvre de l’Accord qui s’appuie sur les avantages comparatifs existants et potentiels et le niveau de compétitivité sectorielle.
Ces derniers conditionnent en effet la mesure dans laquelle les opportunités de marchés et d’investissements ainsi que les risques attendus pourraient se concrétiser.
- Opportunités de commerce
L’expansion attendue du commerce intra-Africain, tel qu’envisagée par le Protocole sur le Commerce des Marchandises de la première phase des négociations, devra également bénéficier :
- d’une élimination progressive des barrières tarifaires et non-tarifaires,
- une amélioration de l’efficience des procédures douanières, de la facilitation des échanges et des transits,
- une coopération et une harmonisation dans le domaine des barrières techniques et normes sanitaires et phytosanitaires (SPS),
- une promotion des chaines de valeur à l’échelle sous-régionale et régionale et
- une amélioration du niveau de développement socio-économique, de diversification et d’industrialisation à travers le continent.
- Opportunités de services
Quant au Protocole sur les Services, en contribuant à l’émergence d’un marché unifié et libéralisé des services (à l’exception de ceux qui relèvent du domaine souverain des gouvernements), devra contribuer à libéraliser progressivement le secteur sur le continent, améliorer la compétitivité du secteur grâce à l’échelle élargie des marchés, réduire des coûts de transactions, accroitre les investissements domestiques et étrangers et promouvoir la recherche et l’innovation dans le domaine des services afin d’accélérer le développement économique et social.
- Opportunités de marché
En somme, de la mise en œuvre effective et réussie de la ZLECAf est attendue une amélioration générale de la compétitivité à l’échelle aussi bien des industries que des firmes individuelles, grâce à l’exploitation harmonieuse des opportunités considérables liées aux économies d’échelle, aux offres d’accès de marché et une efficience accrue dans l’allocation des ressources qui sont le plus souvent rares dans les pays.
Parmi la myriade d’opportunités qui s’offre à la Côte d’Ivoire figurent, entres autres :
- l’élargissement des marchés améliorera considérablement les perspectives de débouchés des entreprises, avec une demande multipliée par plus de 50, en passant de 24,3 millions de consommateurs (ivoiriens) à plus de 1,2 milliards à l’échelle continentale.
- la hausse des exportations est source d’amélioration de la balance commerciale et, toutes choses étant égales par ailleurs, de gains de devises pour le pays
- la mise à l’échelle de la production est synonyme d’emplois accrus et d’investissement
- l’embellie économique devrait contribuer à réduire le chômage (en particulier celui des jeunes)
- le regain d’activités est indicatif d’un relèvement du rythme de croissance
- la concurrence sur les marchés extérieurs entrainera un transfert de technologie et un niveau de savoir-faire entrepreneurial amélioré, par le mécanisme de l’apprentissage par les exportations, ce qui améliore le niveau d’efficience productive des filières et de l’économie dans son ensemble
- la concurrence sur le marché domestique entrainera une restructuration de l’appareil productif (avec la mise en niveau obligée des entreprises, sous peine de disparition pour les moins compétitives) : cet effet de rationalisation dans l’allocation des ressources productives contribue à accroitre davantage le niveau d’efficience de l’économie
- le niveau d’efficience élevé, couplé à des facteurs de production de qualité, améliorera l’attractivité du pays, et les flux entrants des investissements étrangers contribueront à casser les monopoles et cartels, des lors que le libre jeu de la concurrence est pleinement assuré
- l’aiguillon de la concurrence soutenue conduira à une qualité accrue des produits dont l’abondance tendra à réduire les prix, autant de facteurs contributifs au bien-être des consommateurs
La réalisation des opportunités qu’offre la ZLECAf dépend en grande partie du niveau de compétitivité des filières domestiques et leurs capacités à tirer leur épingle du libre jeu de la concurrence sur les marches d’exportations existants et potentiels. Les filières à même de profiter de l’élargissement des marchés sont celles où le pays dispose d’avantages comparatifs, c’est-à-dire une capacité plus élevée à produire et à exporter à moindres coûts.
- Pertes
Les opportunités économiques sont toutefois à opposer aux risques et coûts éventuels qui viennent avec l’ouverture des frontières et la libéralisation des marchés intérieurs. Les pertes de recettes douanières pourraient aller jusqu’à 10,3%.
Outre la perte de recettes douanières, la mise en œuvre de l’Accord serait associée à des effets redistributifs intra- et inter-pays (bien-être, salaires, inégalités, etc.) dont la nature, le sens et l’ampleur dépendent de la structure et du degré de sophistication de l’activité économique et des échanges commerciaux, entre autres.
Dans l’optique d’optimiser les impacts attendus de l’Accord signé et ratifié par le pays, il est dès lors crucial d’envisager une mise en œuvre de l’Accord qui s’appuie sur les avantages comparatifs existants et potentiels et le niveau de compétitivité sectorielle.
- Risques
Même si le pays dispose d’avantages à faire prévaloir dans la perspective de la ZLECAf, il n’en demeure pas moins que la libéralisation du marché domestique et la mise en concurrence des structures productives nationales avec celles du reste de l’Afrique soient associées à des risques relativement importants.
Ceci part du principe général que les réformes majeures envisagées par l’Accord vont très certainement produire des gagnants et des perdants. Les risques sont bien réels et de diverses formes, et ils ont pour l’essentiel trait (i) au niveau d’adéquation du cadre institutionnel et règlementaire du pays, (ii) à la capacité des producteurs domestiques, en particulier les PME/PMI, à faire face à la concurrence qui va s’intensifier dans un contexte de proximité limitée des structures commerciales, (iii) à la capacité des chaines logistiques à accommoder des flux commerciaux croissants et (iv) au degré d’application symétrique des dispositions de l’Accord, en particulier la réciprocité et la règle d’origine.
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Risques liés au cadre institutionnel et règlementaire
La Côte d’Ivoire est signataire des traités de l’UEMOA, de la CEDEAO et de l’Union Africaine. Elle est en plus signataire des accords de Cotonou et de l’Accord de Partenariat Economique avec l’Union Européenne. Par ailleurs, elle est membre de l’Organisation Mondiale du Commerce et donc signataire d’accord multilatéraux de libéralisation du commerce dans divers domaines.
Ainsi dans le cadre de la mise en œuvre de la ZLECAf, le pays est tenu d’engager dans les meilleurs délais l’harmonisation de ses orientations stratégiques en matière commerciale qui tiennent compte de ces engagements antérieurs à la ZLECAf et d’assurer une mise en cohérence entre eux.
Il existe en Côte d’Ivoire un cadre institutionnel composé de plusieurs structures, chargées à divers niveaux des programmes et stratégies relatives aux questions de libéralisation du commerce.
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Du point de vue de la gouvernance qui intervient dans un contexte marqué par des tensions sur les ressources humaines et financières, il y a un double défi concernant l’évaluation et la mise à niveau de la capacité des acteurs institutionnels et l’harmonisation et la coordination des prérogatives et activités de ces différentes entités. Risques associés à l’intensification de la concurrence
L’expansion du commerce ivoirien dans la région peut être limitée par divers facteurs qui sont liés, d’une part, à la nature des biens qui sont échangés et, d’autre part, au degré de préparation des opérateurs économiques.
La proximité structurelle des échanges commerciaux, les systèmes de production de la Côte d’Ivoire et des partenaires africains ont tendance à être plus substituables que complémentaires sur plusieurs filières, surtout s’ils restent à leur niveau primaire. Dans cette optique, à moins de diversifier l’offre d’exportations pour épouser davantage les préférences des consommateurs des marchés, la portée des gains attendus de l’expansion des marchés pourrait être limitée.
Face à cette concurrence de plus en plus accrue aussi bien sur les marchés extérieurs africains qu’il faut conquérir que sur les marchés ivoiriens qu’il faut consolider, il est nécessaire d’avoir des activités très compétitives. Si certaines entreprises industrielles peuvent concurrencer sur les marchés extérieurs, il n’en est pas de même pour la plupart des activités de moindre envergure (PME/PMI) qui sont en majorité dans le secteur informel. Leurs caractéristiques particulières pourraient contribuer à exacerber leur fragilité avec l’ouverture à la concurrence étrangère.
- Risques liés à la chaine logistique
La chaine logistique d’approvisionnement d’un produit est l’ensemble des processus et des intervenants depuis l’acquisition des facteurs de production jusqu’à la livraison au client (dans le respect de ses exigences en terme de délai, de qualité et de coût). Le succès de l’entreprise dépend de plus en plus des relations entre les différents intervenants (fournisseur, clients, le réseau de transport et de distribution et autres services).
La concurrence se joue aujourd’hui entre les chaines logistiques des entreprises et non plus entre les entreprises elles-mêmes. Ainsi tous les frais et taxes appliqués tout au long de la chaine d’approvisionnement influencent la compétitivité d’une organisation.
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Risques liés à l’application asymétrique des dispositions de l’Accord
Le non-respect de la réciprocité par les partenaires est une question qui a été maintes fois soulevée par les opérateurs économiques ivoiriens. Cela ne favorise pas l’esprit de solidarité qui a guidé les accords régionaux existants et qui pourrait se répéter lors de la mise en œuvre de la ZLECAf.
L’éventualité d’une application et d’un respect peu rigoureux des dispositions relatives aux règles d’origine, le jeu de la libre concurrence à la fois loyale et équitable peut être faussée, exposant les pays et les opérateurs économiques les plus regardants de ces règles à des pertes qui peuvent être relativement importantes.
Le risque est alors que la grande diversité dans l’application des règles d’origine soit telle que ces dernières deviennent en elles-mêmes un instrument de politique commerciale. La vigilance dans la mise en œuvre de l’Accord et son caractère graduel devraient permettre de réduire un tel risque.
- Organisation du secteur privé dans la mise en œuvre de la ZLECAF
Dans l’optique de profiter pleinement de la mise en œuvre de la ZLECAf, une Stratégie Nationale de mise en œuvre de la ZLECAf a été produite avec l’assistance technique de la Commission Economique des Nations Unies pour l’Afrique (CEA), la contribution de la Commission de l’Union Africaine (UA) et du Centre du Commerce International (CCI).
Cette stratégie est l’aboutissement d’une étude dont les analyses ont pour l’essentiel reposé sur une série d’entretiens aussi bien multilatéraux et que bilatéraux avec divers acteurs clés des secteurs privé et public ivoiriens.
A partir de l’identification des opportunités et risques ainsi qu’une mise en adéquation du cadre règlementaire et institutionnel assortie d’une traduction réelle de la ferme volonté politique. Cette Stratégie Nationale devrait constituer la feuille de route dans la mise en œuvre effective de la ZLECAf et de l’optimisation des impacts attendus pour l’économie et à la société ivoiriennes.
- Objectifs stratégiques
Dans le sens de l’optimisation des impacts attendus de la ZLECAf pour la Côte d’Ivoire, une mise en œuvre effective de l’Accord devrait aller dans le sens de la réalisation des objectifs stratégiques suivants :
- l’amélioration du niveau d’information des acteurs à propos de la ZLECAf ;
- la rationalisation du dispositif institutionnel et règlementaire de promotion du commerce ;
- le renforcement du cadre de référence des politiques de promotion de la compétitivité nationale ;
- la réduction des coûts de transactions associés au commerce et facilitation des échanges ;
- l’amélioration de l’environnement des affaires ;
- le développement de stratégies commerciales offensives ;
- l’engagement résolu pour la mise à niveau des producteurs (en particulier les TPE/PME/PMI) et des produits ;
- la promotion de la participation des femmes et de l’informel au commerce transfrontalier.
- Axes de la stratégie
Les axes retenus par la Stratégie pour être mis en œuvre dans le cadre de la ZLECAf sont les suivants :
- Amélioration du niveau d’information des acteurs à propos de la ZLECAf
- Rationalisation du dispositif institutionnel et règlementaire de promotion du commerce
- Renforcement du cadre de référence des politiques de promotion de la compétitivité nationale
- Réduction des coûts de transactions associés au commerce et facilitation des échanges
- Amélioration de l’environnement des affaires
- Développement de stratégies commerciales offensives
- Engagement résolu pour la mise à niveau des producteurs (en particulier les TPE/PME/PMI) et des produits
- Promotion de la participation des femmes et de l’informel au commerce transfrontalier
- Actions de la CGECI : lead dans la détermination des produits, sensibilisation, décortiquer les textes pour nos membres
Dans le cadre de la ZLECAf, la Confédération Générale des Entreprises de Côte d’Ivoire (CGECI) a entrepris des actions au bénéfice de ses membres en particulier et du Secteur Privé en général.
Ces actions sont les suivantes :
- La CGECI a pris le lead dans les consultations nationales en vue de déterminer la liste des produits à soumettre à la CEDEAO dans le cadre des négociations
- La CGECI a participé pour le compte du secteur privé aux différents ateliers organisés par la CEDEAO en vue de déterminer la liste des produits de la région
- La CGECI a organisé des séances de sensibilisation et d’information à l’attention de ses Groupements, Associations et Entreprises membres pour les informer de l’état d’avancement des négociations.